La nucléosynthèse primordiale décrit le moment où l’Univers primordial s’est suffisamment refroidi (T ≃ 1011 K, t ≃ 1 min) pour que les protons et les neutrons, alors libres, s’assemblent en noyaux légers complexes, comme l’hélium et le lithium. Des travaux analytiques et numériques ont permis de prédire avec grande précision quelles seraient les abondances des éléments légers à l’issue de la nucléosynthèse (t ≃ 20 min). Cette théorie est l’un des plus grands succès de la cosmologie moderne, car les abondances prédites correspondent parfaitement aux abondances mesurées dans les objets les plus lointains – et donc les plus anciens. Seule une différence notable subsiste pour le lithium, qui continue d’entraîner de nombreuses recherches notamment dans le cadre de nouvelle physique.
Dans sa version standard, la nucléosynthèse primordiale ne dépend que d’un seul paramètre « libre », la fraction de baryons sur la densité de rayonnement, noté η. La modification de cette fraction entraîne une modification des abondances prédites à l’issue de la nucléosynthèse, car plus il y a de baryons (protons, neutrons), plus on s’attend à ce que des éléments lourds — plus lourds que le lithium — se forment en grande quantité. Les observations ont donc permis de contraindre cette fraction à la valeur η ≃ 6×10-10 (données de Planck).
Cependant, il est possible que la nucléosynthèse n’ait pas été homogène dans l’univers primordial. Une inflation de type Affleck-Dine pourrait mener à des inhomogénéités locales dans la valeur de η, sans changer le résultat global sur sa valeur moyenne. Ces inhomogénéités pourraient être tellement importantes que des régions entières de l’univers primordial pourraient s’être effondrées en trous noirs dits primordiaux, un sujet de recherche très actif, notamment à l’IP2I, car ils pourraient constituer tout ou une partie de la matière noire. Dans des cas moins extrêmes, une fraction de η suffisamment grande (η>> 10-9) localement entraîne la fusion d’éléments lourds, qui sont ensuite présents dans les étoiles des premières générations à une époque où on s’attend plutôt à des étoiles peu riches en ces éléments.
La figure montre les abondances des éléments en fonction de leur numéro atomique dans le soleil (courbe bleue) et à l’issue de la nucléosynthèse primordial, pour une fraction à η = 10 -1 (courbe rouge). On voit que des éléments plus lourds que le lithium, principalement autour du pic du fer, ont été synthétisés. À des valeurs moins extrêmes de η, ce sont des éléments de type « processus r » qui sont synthétisés, à l’exception notable de l’Europium. Ainsi, l’observation d’étoiles anciennes, à faible métallicité, mais riches en éléments de type « processus r », ou d’autres signatures incongrues dans les spectres de ces étoiles, pourraient être le signe d’une nucléosynthèse inhomogène, apportant la lumière sur l’inflation de l’univers.
Ces travaux ont été réalisés grâce au code public de nucléosynthèse primordiale AlterBBN, développé à l’IP2I notamment par Alexandre Arbey et Jérémy Auffinger, et en collaboration avec Joseph Silk de l’IAP à Paris. Ils ont fait l’objet d’une « suggestion des éditeurs » dans le journal Physical Review D (lien vers l’article ici).