MANOIR – Diffusion cohérente de matière noire et de neutrinos

Le groupe MANOIR est spécialisé dans la détection de particules interagissant extrêmement peu avec la matière. Un laboratoire cryogénique dédié à l’IP2I permet l’étude et le développement des détecteurs cryogéniques associés, sensibles à des élévations de température inférieures au millionième de Kelvin. Ces détecteurs appelés bolomètres sont des cristaux installés dans des cryostats à très basse température, seulement 0,01 degrés au-dessus du zéro absolu !

Nos bolomètres doivent permettre de découvrir les particules de matière noire, prédites en grande quantité dans notre galaxie par la Cosmologie, mais encore jamais détectées, formant un lien entre infiniment grand et infiniment petit ! L’expérience EDELWEISS, à laquelle nous apportons une contribution majeure, est dédiée à la recherche de particules de matière noire de faible masse.

Notre groupe compte aussi parmi les leaders de l’expérience Ricochet, qui s’attaque à la difficile mesure de la diffusion élastique cohérente entre des neutrinos de réacteurs et les noyaux du réseau cristallin des bolomètres. Ce processus, prédit en 1974, n’a été observé qu’en 2017. Les détecteurs originaux que nous proposons permettront une mesure très précise de cette diffusion, et peut-être d’ouvrir une porte vers de la nouvelle physique !

Avec nos bolomètres, nous tentons aussi de répondre à une question qui hante les physiciens depuis la découverte du neutrino : est-il sa propre antiparticule (neutrino de Majorana) ? Dans ce cas, une désintégration radioactive particulière et très rare devrait avoir lieu ; l’expérience CUPID, à laquelle nous participons, essaie de détecter cette réaction.

Grâce à son expertise reconnue en détecteurs cryogéniques, les activités du groupe MANOIR sont centrées vers la recherche de nouvelle physique, au-delà du Modèle Standard, à travers l’étude de la diffusion cohérente des particules de matière noire d’une part, et des neutrinos de l’autre. Les deux expériences associées sont EDELWEISS, pour la détection directe de matière noire (DM) et le projet Ricochet, pour la première mesure de haute précision du processus de diffusion élastique cohérente neutrino-noyau (CENNS). Les activités de R&D du groupe, tant à l’IP2I qu’au LSM (Laboratoire Souterrain de Modane), ont pour but d’améliorer les performances des bolomètres des deux expériences. Le groupe est aussi impliqué dans d’autres activités, comme l’expérience CUPID, qui recherche le processus de double désintégration beta sans émission de neutrinos, afin de prouver la nature Majorana de ces particules.

Activités:

Les détecteurs cryogéniques

Les expériences EDELWEISS et Ricochet s’intéressent à des domaines très différents de la physique au-delà du Modèle Standard, tous deux liés par la recherche de reculs nucléaires de très basse énergie induits par la diffusion élastique cohérente d’une particule sur les noyaux d’un détecteur cible, avec une section efficace extrêmement faible.  En effet, le signal CENNS (pour “coherent elastic neutrino-nucleus scattering” ou diffusion élastique cohérente neutrino-noyau) attendu pour des neutrinos de réacteurs est équivalent à celui d’une particule DM (pour “dark matter” ou matière noire) de masse de l’ordre de 2,7 GeV/c2 (la masse d’un proton ou d’un neutron vaut environ 1 GeV/ c2). Les deux expériences nécessitent le développement de bolomètres cryogéniques de nouvelle génération, afin d’étendre les excellentes performances obtenues en termes d’identification des reculs nucléaires avec ceux d’EDELWEISS, jusqu’à des énergies de 100 eV (1 eV = 1,6 x 10-19 J) et en-dessous. Le travail sur l’électronique de lecture, le développement des analyses de données ou encore sur les outils de monitoring et d’acquisition, est réalisé avec une forte synergie entre les deux projets. La différence fondamentale entre les deux expériences, en plus de la discipline de recherche concernée (DM ou CENNS), est le choix du site expérimental : un environnement ultra-bas bruit de fond radioactif dans le laboratoire souterrain le plus profond d’Europe (Laboratoire Souterrain de Modane ou LSM) pour EDELWEISS, et la grande proximité d’un réacteur nucléaire (Institut Laué Langevin ou ILL) pour Ricochet. Les deux expériences bénéficient de la compréhension profonde de la technologie des détecteurs cryogéniques en germanium apportée par le groupe MANOIR.

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L’expérience EDELWEISS

Contexte scientifique

La nature de la matière noire (DM) reste l’une des questions les plus importantes en physique des particules. La masse des particules DM étant inconnue, et les sections efficaces d’interaction extrêmement faibles, aucune expérience n’est capable à elle seule de couvrir l’ensemble du domaine de recherche associé. Il existe un intérêt croissant envers les modèles pour lesquels la particule DM aurait échappé à la détection car de masse plus faible que 10 GeV/c2 (c’est une conséquence naturelle, par exemple, des modèles de matière noire asymétrique ADM) et interagissant avec les nucléons via un médiateur léger. L’accent est mis à présent sur le développement de détecteurs mieux adaptés à cette nouvelle gamme de masse, pour des sections efficaces entre 10-39 et 10-45 cm2. En l’absence de bruit de fond, la sensibilité requise pourrait être obtenue avec une exposition de 20 kg.an (l’équivalent de 20 kg de détecteurs prenant des données pendant 1 an), avec des détecteurs sensibles à des dépôts d’énergie de quelques eV. Un tel détecteur permettrait aussi d’explorer d’autres types de modèles de DM, où celle-ci interagit avec des électrons plutôt qu’avec des noyaux.

Dans ce contexte, la collaboration EDELWEISS (France, Allemagne, Russie) s’est tournée vers l’utilisation de détecteurs de plus petite taille, avec des performances améliorées. EDELWEISS a mis sa priorité dans le développement des performances de discrimination à basse énergie permettant de rejeter le bruit de fond, comme première étape indispensable d’une phase appelée EDELWEISS-SubGeV, sensible à la région de masse de particules DM entre quelques centaines de MeV/c2 et 6 GeV/c2. Les détecteurs de l’expérience sont installés dans un environnement souterrain radiopur, situé au Laboratoire Souterrain de Modane (LSM), et refroidis à une température de l’ordre de 20 mK dans un cryostat à dilution. Deux signaux sont lus : l’énergie totale (calorimétrique) déposée et le rendement d’ionisation. Leur combinaison permet de séparer les reculs nucléaires (NR) des reculs électronique (ER), qui ont des rendements d’ionisation qui diffèrent d’un facteur ~ 3 et constituent le fond dominant induit par la radioactivité bêta et gamma.

 

EDELWEISS-III

Au cours de la 3ème phase de l’expérience (EDELWEISS-III), la collaboration a exploité 24 cristaux de germanium de 860 g chacun, le plus grand ensemble de détecteurs cryogéniques en germanium utilisé pour la recherche de DM. Pour chaque interaction, la mesure thermique (énergie totale ou phonon) est réalisée avec des senseurs en germanium de type NTD-Ge (Neutron Transmutation Doped) et le signal de charge est mesuré grâce à des électrodes concentriques interdigitées couvrant toutes les surfaces et portées à des potentiels alternés. Ce design d’électrodes unique permet aux détecteurs FID d’EDELWEISS d’identifier les interactions ayant eu lieu près de la surface des cristaux, et ainsi de définir un volume interne exempt de problèmes de collecte de charge incomplète associée aux événements proches de la surface (importants pour la recherche des signaux de type ER).

L’expérience EDELWEISS-III a obtenu une exposition de 8 kg.an entre juin 2014 et avril 2015. La sensibilité aux WIMPs (Weakly Interacting Massive Particles, catégorie particulière de particules DM interagissant faiblement) de 7 GeV/c2 a été améliorée de 2 ordres de grandeur par rapport à la phase 2 de l’expérience. EDELWEISS-III a aussi fourni des résultats compétitifs sur la recherche de particules DM plus exotiques, produisant des reculs électroniques, comme les ALPs (axion-like particles), dans la gamme de masse de 0.8 à 500 keV/c2.

EDELWEISS a été la première expérience à combiner le rejet des événements de surface, la résolution en énergie et la précision statistique nécessaires pour mesurer précisément le taux de tritium produit par l’activation du germanium exposé aux rayonnements cosmiques. Cette mesure a aidé à mieux définir les contraintes de fabrication des détecteurs en germanium de l’expérience concurrente SuperCDMS.

Les membres du groupe MANOIR ont eu de nombreuses responsabilités et ont été profondément impliqués dans tous les aspects d’EDELWEISS-III : construction, simulations, mesures de radiopureté, études de bruit de fond ou des performances des détecteurs, prise de données, monitoring, les étalonnages des détecteurs et analyses de données. Le groupe a réalisé la reconstruction et l’étalonnage des données, et toutes les études de performances, grâce à des outils statistiques et de simulation, combinant méthodes d’analyses multivariées de type BDT (Boosted Decision Tree) et des fonctions de vraisemblance profilée à 2D. Le groupe a supervisé la plupart des analyses de données, a été impliqué dans 3 des 5 thèses de la période, et a eu un impact majeur sur les 6 papiers produits par la collaboration EDELWEISS entre 2016 et 2018. 

EDELWEISS-LT

Après la fin de la phase 3, la collaboration a décidé de rediriger ses efforts vers la recherche de la diffusion cohérente WIMP-noyau pour des plus légères. Ce programme a démarré en 2015 avec la phase EDELWEISS-LT (pour low threshold ou bas-seuil en énergie). Le but est d’amplifier le signal pour obtenir un seuil en énergie plus bas. Cette amplification fait appel à l’effet LN (Luke-Neganov, l’équivalent de l’effet Joule dans un semiconducteur à basse température). La dérive des charges dans le bolomètre va produire une chaleur qui s’additionne à la chaleur crée par la collision. L’amplification sera d’autant plus forte que la tension appliquée au détecteur l’est. La sensibilité associée a été étudiée par Q. Arnaud pendant sa thèse à l’IP2I et est publiée. Expérimentalement, une amélioration d’un ordre de grandeur des seuils en énergie a été obtenue par effet LN, en appliquant des tensions jusqu’à 100 V aux détecteurs FID existants. Un nouveau type de bruit de fond rencontré dans ce nouveau domaine en énergie a été étudié à l’IP2I, dans le cadre de la thèse d’E. Queguiner. L’étude réalisée a dans le même temps permis d’améliorer la sensibilité d’EDELWEISS aux WIMPs de masse entre 2,8 and 5 GeV/c2. Elle a aussi montré la nécessité d’avoir une voie ionisation très performante en termes de résolution en énergie, afin d’identifier les bruits de fond efficacement. Ces différentes études ont conduit à la définition de la phase suivante : EDELWEISS-SubGeV.

EDELWEISS-SubGeV

Les prospectives pour EDELWEISS-SubGeV ont convergé vers un programme de développement de détecteurs avec des électrodes interdigitées (de type FID), avec les mêmes objectifs en termes de résolution que ceux de Ricochet conduisant aux mêmes performances de discrimination ER/NR. La comparaison de ces performances potentielles a montré que la réduction de masse d’un détecteur individuel de 860 g à 33 g est plus que compensée par les meilleures performances des détecteurs plus petits. Une part essentielle de la stratégie vers EDELWEISS-SubGeV réside dans la forte synergie avec la R&D CryoCube réalisée pour Ricochet, dans laquelle le groupe est moteur. La différence est que pour la recherche de DM, les détecteurs doivent garder la possibilité de fonctionner avec des tensions jusqu’à 100 V, afin de bénéficier de l’amplification LN. Le but de physique de cette nouvelle phase d’EDELWEISS est la recherche de reculs NR induits par la diffusion cohérente sur les cristaux de germanium pour des particules DM de masses jusqu’à ~10 MeV/c2, mais également la recherche de reculs ER pour des particules DM de masse en-dessous de 1 MeV/c2 et des ALPs (axion-like particles) ou des photons associés à un nouveau secteur sombre ayant des masses de l’ordre de quelques eV/c2. La démonstration de ces performances est essentielle pour définir le détecteur de base capable de fonctionner au LSM en 2024, au sein d’un ensemble d’environ 1 kg de détecteurs optimisés pour la recherche de reculs induits par des particules DM, à la fois NR et ER. C’est le but d’EDELWEISS-SubGeV dont les détecteurs, en cas de succès, pourraient éventuellement contribuer à un upgrade de l’expérience SuperCDMS à SNOLAB, au Canada.

RED20 et RED30

Des résultats obtenus en surface à l’IP2I, suite à la R&D menée sur la résolution des senseurs phonon, et publiés sous l’appellation EDELWEISS-Surf, ont démontré les progrès réalisés vers le programme SubGeV, à la fois pour des recherches standard de reculs nucléaires NR, et pour ceux exploitant l’effet Migdal. La R&D a permis la définition du premier détecteur en germanium de 33 g (RED20), couplé à un senseur thermique de type Ge-NTD, capable de rechercher des particules DM de masse inférieure à 1 GeV/c2. Ce détecteur a fonctionné dans l’environnement basse vibration du cryostat LIO, et montré une résolution en énergie de 17.7 eV, permettant d’appliquer un seuil en énergie de 60 eV. La limite EDELWEISS-Surf est la meilleure en surface, basée sur des reculs nucléaires, pour des interactions indépendantes de spin (SI) au-dessus de 600 MeV/c2. En considérant l’effet Migdal, ces limites ont pu être étendues à des particules DM de masses plus faibles : ce sont les premières à couvrir la région entre 45 et 150 MeV/c2. Calculées en incluant les effets de blindage de la Terre, ces limites ont conduit à définir de nouveaux domaines d’exclusion pour les SIMPs (Strongly Interacting Massive Particles, une autre catégorie de particules DM avec des interactions plus fortes). EDELWEISS-Surf a aussi produit les meilleures limites dépendantes de spin, pour les interactions sur neutrons entre 0.5 et 1.3 GeV/c2, et sur protons entre 0.6 et 0.8 GeV/c2. L’étape suivante du programme SubGeV a été d’équiper un détecteur en germanium de 33 g avec des électrodes (RED30) et l’installer au LSM dans le cryostat d’EDELWEISS pour une prise de donnée démarrée en janvier 2019. Les premiers résultats ont été soumis pour publication (arXiv:2003.01046). En appliquant des tensions jusqu’à 78 V, une résolution phonon de 42 eV a été obtenue, correspondant à une résolution de 1,60 eVee après amplification Luke-Neganov (LN), inférieure au signal associé à un électron unique. C’est aussi la meilleure résolution obtenue sur un détecteur semi-conducteur massif (>> 1 g). Les limites associées sur la diffusion des particules DM sur les électrons sont les meilleures au-dessus de 0.5 MeV/c2. C’est aussi le premier pas vers le projet Selendis (bourse Marie Curie), dont le but est d’utiliser l’amplification LN pour résoudre les signaux associés à un électron unique avec des détecteurs en germanium massifs.

Phénoménologie en détection directe

J. Billard réalise des études phénoménologiques qui ont mené à des publications sur le bruit de fond lié aux neutrinos cosmiques pour la détection directe de matière noire. Il y montre l’impact des interactions cohérentes des neutrinos solaires et atmosphériques sur les futures expériences de détection directe de DM. L’unique moyen pour contourner ce problème sera d’utiliser la détection directionnelle de DM, c’est-à-dire mesurer à la fois l’énergie et la direction des reculs induits par les particules DM.

 

L’expérience Ricochet

Contexte scientifique

Un nouveau domaine de la physique des neutrinos a été ouvert par l’observation d’un signal CENNS (Coherent Elastic Neutrino-Nucleus Scattering) par l’expérience COHERENT en 2017. L’augmentation cohérente du taux de production de reculs nucléaires sub-keV par courant neutre, par un facteur proportionnel au carré du nombre de nucléons (A2) d’un détecteur cible en laboratoire, ouvre la voie pour sonder le secteur des neutrinos avec des expériences de petites dimensions. L’expérience Ricochet (France, USA, Russie) projette de mesurer le CENNS à basse énergie afin d’exploiter sa sensibilité à la recherche de nouvelle physique. Comme démontré dans une publication (voir Phénoménologie), après un an de prise de données avec un seuil en énergie inférieur à 100 eV, l’expérience Ricochet devrait avoir l’opportunité unique de détecter l’échange d’un Z’, nouveau boson médiateur massif additionnel couplé aux neutrinos et aux quarks, qui pourrait de ce fait créer des interférences avec le processus CENNS standard. De façon plus générale, Ricochet devrait poser des limites sur les déviations à l’hypercharge nucléaire faible observée. Sa sensibilité aux opérateurs associés aux interactions non standards NSI (Non-Standard Interaction) du Lagrangien décrivant l’interaction neutrino-nucléon devrait être de deux ordres de grandeur meilleure que celle des expériences existantes. De plus, un moment magnétique anormal du neutrino NMM (Neutrino-Magnetic Moment) devrait déformer le spectre NR en dessous de 100 eV, ce qui serait une signature non ambiguë du fait que les neutrinos sont des fermions de Majorana.

Le détecteur CryoCube et le projet Ricochet

En 2018, J. Billard a obtenu une bourse ERC starting grant (appelée CENNS) pour développer, réaliser et installer dans l’expérience Ricochet en 2022 le détecteur CryoCube, constitué de 1 kg de bolomètres cryogéniques de 33 g, permettant la mesure simultanée des signaux phonon et charge, pour discriminer événement par événement et identifier les reculs nucléaires. L’équipe MANOIR est en première position pour les efforts de R&D associés à ce projet, communs avec la future EDELWEISS-SubGeV.

 

Le détecteur CryoCube combine deux cibles et techniques cryogéniques afin de bénéficier de la complémentarité des cibles et de la réduction des systématiques : Ge semi-conducteur et Zn métal supraconducteur. Les résolutions de ces détecteurs doivent être excellente. Elle a été quasiment atteinte pour les phonons en 2018 (EDELWEISS-Surf) en optimisant l’électronique de lecture des senseurs Ge-NTD avec des détecteurs de 33 g (RED20 et RED30). La résolution sur le signal de charge sera obtenue en utilisant des pré-amplificateurs basés sur des transistors de type HEMT (High energy mobility transistors) et un design d’électrodes à faible capacité, étudié à l’IP2I (voir R&D détecteurs).

Le cryostat de Ricochet sera installé à l’emplacement de l’expérience STEREO à l’ILL (Grenoble) à 8 m du cœur d’un réacteur de recherche de puissance thermique 58 MW. L’objectif est une installation en 2022 et un démarrage de la physique en 2023. Le groupe est en charge des simulations qui permettront de faire le design des blindages du cryostat.

Le travail préparatoire sur Ricochet a conduit le groupe MANOIR à être renforcé dès 2019 par 7 ingénieurs et techniciens des services informatique, instrumentation, bureau d’étude et électronique de l’IP2I. De nouveaux collaborateurs en France, aux USA et en Russie ont aussi rejoint la collaboration Ricochet en 2019.

CENNS et phénoménologie

En plus de ces développements expérimentaux, J. Billard a défini le science case associée à l’expérience Ricochet dans une publication plus phénoménologique, qui présente le CENNS comme nouvelle sonde pour étudier la physique au-delà du Modèle Standard. En comparant les projections de sensibilité des différentes expériences recherchant un signal CENNS, il est montré que les futures expériences CENNS cryogéniques avec des seuils en énergie inférieurs à 100 eV auront la sensibilité pour étudier de nombreux scénarios de physique exotique.

 

Recherche et développement à l’IP2I

L’installation cryogénique LIO de l’IP2I est au coeur de la synergie des programmes de recherche EDELWEISS et Ricochet, afin de réaliser un ensemble de détecteurs cryogéniques de type bolomètres, de résolution en énergie 10 eV phonon et 20 eVee ionisation, permettant une discrimination événement par événement.

Le cryostat LIO

Les performances requises pour la recherche de matière noire légère et l’étude du CENNS à basse énergie ont motivé le groupe MANOIR à se tourner vers des activités de R&D afin de développer et optimiser des détecteurs cryogéniques ultra-sensibles. Ce programme expérimental est réalisé au sein d’un réfrigérateur à dilution sèche DDR (Dry Dilution Refrigerator), faisant partie des plateformes innovantes du LabEx LIO (Lyon Institute of Origins). Ce cryostat basé sur l’utilisation d’un tube pulsé, fabriqué par la compagnie CryoConcept, fonctionne sans apport de fluides cryogéniques, ce qui lui permet d’atteindre une température de 10 mK seulement 30h après la mise en froid, un avantage non négligeable pour la rapidité nécessaire à un programme de R&D intensif.

Le cryostat est opérationnel depuis 2015. Deux améliorations majeures ont été introduite depuis afin de réduire l’impact des vibrations mécaniques induites par le tube pulsé sur les performances des détecteurs : 1) la tête du tube pulsé a été mécaniquement découplée du cryostat et 2) le détecteur a été monté sur une structure en tour suspendue par un pendule élastique, réalisée à l’IP2I. Les niveaux de vibration ont été atténués de plus de deux ordres de grandeur sur quasiment toute la plage de fréquence, atteignant des niveaux records pour ce type de système, et faisant de l’installation cryogénique LIO de l’IP2I une référence mondiale sur cet aspect.

L’installation permet au groupe MANOIR de jouer un rôle majeur dans la R&D d’EDELWEISS et de Ricochet. Elle a d’autre part été conçue comme une plateforme idéale pour le développement de la lecture de charge à base d’amplificateurs HEMT. Des améliorations sont prévues pour l’utilisation de senseurs à haute comme à basse impédance afin de tester à la fois les semi-conducteurs en germanium pour les détecteurs cryogéniques d’EDELWEISS-SubGeV et Ricochet, mais aussi les supraconducteurs en zinc pour le CryoCube de Ricochet. Un nouveau cryostat bas bruit de fond pour Ricochet est réalisé par CryoConcept. Installé à l’IP2I fin 2020 pour tester les détecteurs du CryoCube, il sera ensuite transféré à l’ILL pour la prise de données qui doit débuter en 2022.

R&D sur les senseurs phonon et charge : vers la discrimination et les bas seuils en énergie

Pour guider la réalisation de senseurs phonon ayant une résolution en énergie optimale, le groupe MANOIR a développé un modèle associé à la réponse électrothermique du système comprenant le senseur thermique, le cristal et tous les liens thermiques et électriques entre eux et leur environnement.  Le modèle décrit l’état stationnaire, les différentes composantes de bruit et la réponse aux événements de signal et au bruit, à la fois dans les domaines temporel et fréquentiel. Les constantes physiques du modèle viennent des données expérimentales obtenues sur l’installation cryogéniques LIO.

Ce travail a conduit au design de RED20, le premier détecteur en germanium capable de rechercher les particules DM de masses inférieures à 1 GeV/c2. Ce détecteur est un cristal de germanium de 33 g couplé à un senseur phonon de type Ge-NTD. Il a été installé dans la tour suspendue basse vibration de l’installation cryogénique LIO. Les données expérimentales ont montré une résolution en énergie phonon de 17.7 eV, permettant d’utiliser un seuil d’analyse de 60 eV. Ceci a conduit aux records mondiaux en sensibilité publiés par EDELWEISS-Surf pour les particules de matière noire légères. Ce résultat a également conforté la stratégie développée par le groupe MANOIR pour EDELWEISS et Ricochet, à base de détecteurs germanium de 33 g couplés à des senseurs phonon Ge-NTD. L’étape suivante a consisté à équiper d’électrodes un détecteur similaire (RED30) pour un run de physique dans le cryostat d’EDELWEISS au LSM. D’autres recherches de particules DM en surface sont planifiées à l’IP2I avec d’autres détecteurs utilisant l’effet d’amplification Luke-Neganov. Coupler cette excellente résolution en énergie phonon avec l’excellente résolution en énergie ionisation attendue avec la lecture de charge avec transistors HEMT pourrait être une technique unique pour mesurer précisément le rendement d’ionisation des reculs nucléaires à des énergies inférieures à 100 eV, permettant d’éliminer la controverse actuelle à ce sujet. C’est une question cruciale pour toutes les expériences utilisant des détecteurs semi-conducteurs pour la recherche de particules DM de basse masse. L’étalonnage à basse énergie nécessite des sources radioactives particulières dont M. De Jesus est responsable : l’activation neutron avec des neutrons thermiques issus d’une source AmBe, et sources de 55Fe pour l’étalonnage en surface, produites en collaboration avec le service LABRADOR.

 

En ce qui concerne la voie ionisation, le but est d’obtenir une résolution en énergie de 20 eVee, essentielle pour améliorer la discrimination des particules. Le travail se poursuit sur deux fronts : les simulations permettant le design des électrodes et les développements de l’électronique à base de HEMTs.

Des calculs par la méthode des éléments finis ont été réalisés avec le logiciel COMSOL afin de produire un design d’électrodes qui représente le meilleur compromis entre faible capacité électrique (pour la résolution) et grand volume fiduciel (pour la collection de charge). Ces calculs sont importants pour comprendre la dérive des charges dans les cristaux de germanium à très basse température.

Le groupe de cryogénie de Berkeley, avec la collaboration de A. Juillard, a montré sur un détecteur l’expérience CDMS de 300 g de que la réduction de la capacité associée au câblage était possible en utilisant une électronique à base de HEMTs, et a mesuré une résolution en énergie ionisation associée de 93 eVee. La R&D HEMT sur la voie ionisation a débuté à l’IP2I en 2017. La modélisation du bruit des HEMT a montré qu’une résolution en énergie de 20 eVee était un objectif raisonnable pour un détecteur de 33 g avec le bon jeu d’électrodes interdigitées. Les transistors HEMT sont produits au C2N Saclay et assemblés au sein d’un ASIC cryogénique SiGe développé au CEA Saclay. Avec le démarrage du pré-projet Ricochet à l’IP2I, les électroniciens et informaticiens s’intéressent au développement de l’électronique à 300 K (analogique et numérique) ainsi qu’au software pour les amplificateurs HEMT. Le but du programme HEMT est d’atteindre les 20 eVee sur l’installation cryogénique LIO d’ici mi-2021.

 

Activités associées : CUTE, GENTIANE, LUMINEU, CUPID

Les membres du groupe MANOIR sont souvent sollicités pour leur expertise par d’autres expériences cryogéniques.

Dans le domaine des simulations Monte-Carlo du bruit de fond radioactif, A. Cazes a été impliqué dans les premières simulations de l’installation cryogénique CUTE du laboratoire SNOLAB au Canada, réalisée pour valider les bolomètres de l’expérience SuperCDMS.

M. De Jesus est responsable de l’ensemble des mesures de radiopureté réalisées avec le spectromètre HPGe (Hig-Purity Germanium) Gentiane installé au LSM, pour les expériences EDELWEISS, LUMINEU et CUPID-Mo. Ces mesures sont ensuite utilisées comme inputs des simulations détaillées réalisées pour étudier les bruits de fond neutrons et gammas de ces expériences recherchant des événements rares.

L’expertise du groupe pour prendre des données avec des réseaux de bolomètres cyrogéniques au LSM a aussi été sollicitée par les collaborations LUMINEU/CUPID qui développent des détecteurs pour la recherche de la double désintégration beta sans émission de neutrinos. La phase CUPID-Mo, avec 20 détecteurs de 300 g LiMoO4 enrichis en 100Mo, et la mesure de signaux phonon et scintillation, a été installée dans le cryostat d’EDELWEISS au LSM. Le groupe MANOIR est impliqué dans le monitoring, les diagnostics détecteurs, la prise de données, et a réalisé une partie des mesures de radiopureté. Il a aussi supervisé l’implémentation de la géométrie des détecteurs de CUPID dans le code simulation. Cette phase CUPID-Mo a produit de nombreuses publications, toutes signées par le groupe MANOIR. De plus, des activités de R&D communes sont réalisées avec les collaborateurs CUPID en France, tant sur les détecteurs que sur les senseurs thermiques, à l’IP2I et au LSM.

Les observations astrophysiques ne s’expliquent correctement qu’à l’aide d’une grande masse de matière répartie dans l’univers. Cette matière n’a jamais été vu de manière optique et ne doit donc pas interagir avec la lumière. Cela lui a donné son nom : Matière Noire.

Mais cette matière n’a jamais été détecté directement ! C’est ce que tente de faire l’expérience EDELWEISS, installée au Laboratoire Souterrain de Modane. La matière noire est la composante principale d’une galaxie, et nous entoure donc. L’objectif d’EDELWEISS est d’être capable de mesurer l’effet d’une collision d’une particule de matière noire sur ses détecteurs.

La collaboration EDELWEISS regroupe l’IP2I, le IJCLab et le CEA/Irfu en France, JINR en Russie et KIT en Allemagne. Le groupe de l’IP2I est le plus important en nombre et comprend le spokesman de l’expérience.

La diffusion élastique cohérente des neutrinos est une interaction prédite il y a longtemps, mais qui n’a été observé que récemment. C’est une interaction par courant neutre, et sa mesure précise permettra d’observer ou non toute déviation par rapport au modèle standard.
C’est l’objectif du projet Ricochet, grâce à une intense R&D sur la technologie de détection cryogénique devant amener à une amélioration spectaculaire des performances de ses derniers. L’expérience contiendra 27 bolomètres en Germanium ou en Zinc pour une masse totale de l’ordre du kilogramme. Ces détecteurs seront capable de rejeter les bruits de fond et seront installés dans un cryostat près du réacteur expérimental de l’ILL pour obtenir un flux important d’antineutrinos électroniques.
Ricochet est une collaboration Franco-russo-américaine porté conjointement par l’IP2I et le MIT et il bénéficie de l’ERC starting grand CENNS.

PERMANENTS:
NON-PERMANENTS:

- DOCTORANTS / DOCTORAL STUDENTS:
- CHERCHEURS NON-PERMANENTS / NON-PERMANENT RESEARCHERS:


8679 documents

  • A Armatol, C Augier, I.C Bandac, D Baudin, G Benato, et al.. BINGO innovative assembly for background reduction in bolometric 0\nu\beta\beta experiments. Nucl.Instrum.Meth.A, 2024, 1069, pp.169936. ⟨10.1016/j.nima.2024.169936⟩. ⟨hal-04483456⟩
  • C Augier, G Baulieu, V Belov, L Bergé, J Billard, et al.. First demonstration of 30 eVee ionization energy resolution with Ricochet germanium cryogenic bolometers. European Physical Journal C: Particles and Fields, 2024, 84 (2), pp.186. ⟨10.1140/epjc/s10052-024-12433-1⟩. ⟨hal-04127918⟩
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  • C Augier, A.S Barabash, F Bellini, G Benato, M Beretta, et al.. Probing Beyond the Standard Model physics using the improved description of ^{100}Mo 2\nu\beta\beta decay spectral shape with CUPID-Mo. Eur.Phys.J.C, 2024, 84 (9), pp.925. ⟨10.1140/epjc/s10052-024-13286-4⟩. ⟨hal-04590403⟩
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