L’équipe MATiCE (MATériaux en Conditions Extrêmes) est constituée de deux chercheurs CNRS et de deux enseignants-chercheurs, physico-chimistes, dont les recherches sont en lien avec les problématiques des matériaux nucléaires et leur comportement en conditions extrêmes et aux interfaces. En effet, quel que soit le type de réacteur nucléaire envisagé (fission, fusion) et tout au long du cycle du combustible nucléaire, depuis l’amont jusqu’à l’aval en passant par le fonctionnement en réacteur, les matériaux subissent de fortes modifications chimiques et structurales dues à des conditions extrêmes de température et d’irradiation. Il est crucial de comprendre les mécanismes fondamentaux qui régissent l’endommagement de ces matériaux et modifient ainsi leurs propriétés. Les enjeux associés à ces recherches sont majeurs notamment en terme de sûreté.

Toutes les générations de réacteurs sont concernées, telle que la première génération des réacteurs nucléaires appelés UNGG où le graphite nucléaire servait de modérateur, mais aussi des matériaux de cœur (combustible, acier de structure, …) des réacteurs actuels dits de deuxième et troisième génération (REP et EPR) ainsi que sur les liquides utilisés ou envisagés dans le procédé de retraitement des déchets nucléaires. Ces recherches portent également sur des céramiques de type carbure envisagées pour une quatrième génération de réacteurs dont la technologie sera en rupture des REP et EPR actuels. Par ailleurs, l’impact de la radiolyse aux interfaces constitue aussi un sujet d’intérêt.

La démarche consiste à soumettre ces matériaux à des rayonnements ionisants ainsi qu’à des traitements thermiques (jusqu’à 2000°C) puis à caractériser l’évolution de plusieurs propriétés physico-chimiques, mécaniques ou structurales de ces matériaux. Cette démarche permet d’exacerber les effets visibles en réacteurs à l’échelle du laboratoire dans des temps raisonnables. En parallèle une approche par modélisation atomistique permet une meilleure compréhension des mécanismes fondamentaux qui régissent les effets d’irradiation.

Image d'iode irradié à 60 et 200 MeV

Les activités du groupe MATiCE portent majoritairement sur le comportement, sous conditions extrêmes de température et d’irradiation, de matériaux céramiques (UO2, B4C) ou métalliques (aciers) utilisés dans les réacteurs nucléaires. Un autre volet concerne la chimie des lanthanides et actinides dans les liquides ioniques, notamment pour leur séparation sélective lors du retraitement des déchets nucléaires. Nos travaux sont principalement menés au sein du GdR SciNEE (Sciences Nucléaires pour l’Energie et l’Environnement) et du programme CNRS pluridisciplinaire NEEDS (Nucléaire, énergie, environnement, déchets, société). Ils font également l’objet de collaborations avec les principaux acteurs du nucléaire (EDF, IRSN).

I. Comportement, sous conditions extrêmes de température et d’irradiation, des céramiques nucléaires

Deux types de matériaux céramiques sont actuellement étudiés : UO2 et B4C. Le dioxyde d’uranium constitue en effet le combustible nucléaire des réacteurs à eau pressurisée (REP) alors que le carbure de bore est un matériau utilisé dans les barres de contrôle des réacteurs actuels et envisagé largement pour le modérateur des réacteurs de quatrième génération dont la technologie est basée sur l’utilisation des neutrons rapides.

Il s’agit de caractériser le comportement de produits de fission ou d’activation dans ces matériaux en conditions normales ou accidentelles de réacteur, donc sous l’effet de la température et de l’irradiation.

Étude de la migration thermique de produits de fission dans UO2 et UO2+x 

Les réacteurs nucléaires de type eau pressurisée (REP) sont alimentés par du combustible de type UO2 ou (U,Pu)O2 (appelé MOX) au sein duquel l’énergie est produite par fission. Lors du fonctionnement normal du réacteur, ce combustible est soumis à de hautes températures (jusqu’à 1000°C) et à l’irradiation induite notamment par la formation des produits de fission. La présence de ces derniers entraine aussi des modifications microstructurales en formant des bulles, précipités ou solutions solides dans le combustible.

Le relâchement des produits de fission dans l’environnement en cas de séquence accidentelle d’un réacteur est une préoccupation majeure. L’amélioration de la sureté des réacteurs demande de pouvoir évaluer les quantités, spéciations et cinétiques de relâchement de ces produits de fission (PF) afin de modéliser leur comportement en fonction de différents scenarii possibles. Dans ce but, il est nécessaire d’avoir une compréhension fine du comportement des PF en fonction des différents paramètres (température, irradiation, interactions avec d’autres produits de fission…).

Vue microscopique (MET) de bulles de césium dans une pastille d'oxyde d'uranium

Cliché MET de bulles de césium après le recuit d’une pastille d’UO2 à 1600°C

Nos études menées en collaboration avec ORANO (ex-AREVA), l’IRSN et le JRC Karlsruhe visent à évaluer les coefficients de diffusion des produits de fission Xe, Mo et Cs dans UO2 et identifier leurs mécanismes de migration sous l’effet de haute température (1000-1600°C), d’atmosphère oxydante et/ou d’irradiation aux ions. Les isotopes stables des produits de fission sont introduits dans des pastilles d’UO2 par implantation ionique. Les échantillons sont ensuite soumis à différents traitements thermiques (lien plateforme fours) ou d’irradiation (lien chambre d’irr.) (à température ambiante ou en température). Les profils de concentration des éléments sont obtenus par SIMS. En parallèle, diverses caractérisations (MET, EXAFS) sont entreprises afin de caractériser l’état chimique des éléments (bulles, précipités métalliques…) et l’évolution microstructurale de UO2 (spectroscopie Raman, DRX). Enfin, l’aspect « mécanismes de diffusion » est abordé majoritairement via l’utilisation de modélisations à l’échelle atomique que ce soit par des calculs ab initio (DFT) ou par l’utilisation de potentiels empiriques (Dynamique moléculaire).

Étude du vieillissement du carbure de bore (B4C) 

L’intégrité de la structure du carbure de bore va se dégrader rapidement sous l’effet du bombardement neutronique de par la réaction nucléaire majoritaire 10B(n,4He)7Li. L’hélium étant un gaz, il forme rapidement des bulles et participe largement au vieillissement prématuré de la céramique. Le comportement de cet élément et la dégradation globale du matériau ont été étudiés notamment par la thèse de V. Motte (2014-2017) et celle de G. Victor (2013-2016) qui résultent d’une collaboration entre le CEA et l’IP2I. Le comportement du lithium ainsi que du tritium créé par des réactions mineures sont des éléments actuellement très peu étudiés. Il est donc important de pouvoir quantifier leur caractère diffusif ne serait-ce que pour des questions de radioprotection et d’évaluer leur impact sur le comportement de l’hélium pour affiner la compréhension des mécanismes de dégradation du carbure de bore par l’hélium. Ces questions sont actuellement traitées dans la thèse de Mohand Bousseksou toujours autour d’une collaboration entre le CEA et l’IP2I.

Image - Vue 3D d'une ou plusieurs molécules de carbure de bore

Structure hexagonale du carbure de bore (B11Cp)CBC modélisée avec le logiciel VESTA

D’autre part, en collaboration avec l’IRCER de Limoges, le groupe MATiCE s’intéresse à la caractérisation de matériaux susceptibles de remplacer le carbure de bore tels que le borure d’hafnium (HfB2) ou une phase ternaire BCO, pour améliorer la résistance mécanique. Pour ce dernier volet, la partie expérimentale est largement supportée par un volet théorique combinant calculs ab initio pour calculer l’énergie de formation de toutes les structures BCO possibles et calculs thermodynamiques par la méthode Calphad.

II. Tribocorrosion d’alliages métalliques sous irradiation

Depuis 2014, l’équipe MATiCE, en collaboration avec l’équipe CorrIs du laboratoire MATEIS (INSA-Lyon) s’intéresse à la tribocorrosion sous irradiation de l’acier inoxydable 316L. L’objectif de cette recherche est de comprendre les synergies possibles entre la friction, la corrosion et l’irradiation sur l’évolution du film passif protecteur qui se forme en surface de l’acier et joue le rôle de barrière à la corrosion. L’originalité de cette étude est d’avoir conçu et développé un tribocorrosimètre original et adaptable sur plusieurs accélérateurs qui permet d’étudier in-situ l’évolution du film passif grâce à des mesures électrochimiques en ligne. Actuellement, les expériences d’irradiations avec des protons sont effectuées auprès du cyclotron du CEMHTI (CNRS, Orléans) une plateforme de la fédération de recherche EMIR. Cette étude fait actuellement l’objet de la thèse de P. Martinet.

Image - Accélérateur pour tribocorrosion sous irradiation

Dispositif expérimental développé pour l’étude de la tribocorrosion sous irradiation

III. Étude des liquides ioniques pour la séparation des actinides et lanthanides

Image - Écriture schématique de molécules chimiques

Molécule du liquide ionique [BMI][Tf2N] composé du cation 1-butyl-3-methylimidazolium et de l’anion bis(trifluoromethylsulfonyl)imide

Les liquides ioniques possèdent des propriétés remarquables permettant d’envisager leur utilisation pour des applications en radiochimie. Notre objectif est d’étudier le comportement chimique des lanthanides et actinides afin de proposer de nouvelles voies pour leur séparation sélective. La compréhension des mécanismes et de la cinétique de l’extraction par solvant nécessite d’étudier les réactions à l’interface liquide-liquide. Le projet ANR PROfILE « Sonder l’interface d’un liquide ionique avec l’eau pendant l’extraction » démarré en 2018 pour 48 mois vise à comprendre au niveau microscopique comment la nature et la structure des interfaces évoluent lors du transfert de l’ion de l’eau vers la phase liquide ionique, et de préciser les mécanismes sous-jacents. Pour cela, PROfILE combine des études de spectroscopie optique non-linéaire, d’extraction et de tension de surface, et des simulations de dynamique moléculaire. Le contenu précis des phases en équilibre sera analysé par spectroscopies (EXAFS, diffusion Hyper-Rayleigh, fluorescence, RMN, UV-vis), par analyse chimique, et par simulations.

Ce travail fondamental est conduit par quatre équipes complémentaires : ILM, CMC, IPHC et IP2I.

Nos compétences premières sont la mise en œuvre et le traitement de données issues de l’analyse par faisceaux d’ions (IBA et SIMS) ainsi que la mise en œuvre d’expériences d’irradiation auprès d’accélérateurs de particules. Nous avons également un savoir-faire dans des techniques de caractérisation spectroscopiques (Raman, EXAFS, UV-Vis) et, dans une moindre mesure, microscopiques (MEB, MET). Enfin, nous effectuons des modélisations à l’échelle atomique.

I. Traitement des échantillons

Notre équipe dispose d’une plateforme de fours haute-température permettant des traitements thermiques de matériaux dans une grande gamme de température (de 500 à 1600°C) et d’atmosphère (vide, gaz neutre, réducteur ou oxydant).

Nous avons également conçu une chambre d’expérience transportable permettant d’irradier en température (jusqu’à 1000°C) des échantillons sur des accélérateurs d’ions.

II. Mesure de concentration d’éléments lourds ou légers dans les matériaux

Différentes techniques sont utilisées pour effectuer le dosage en profondeur des éléments d’intérêt dans les matériaux étudiés: l’analyse par faisceaux d’ions (RBS, NRA, PIXE) et la spectrométrie SIMS.

III. Caractérisation de l’état physico-chimique ou structural du matériau

Afin de caractériser l’état chimique des éléments dans les échantillons solides ou liquides, nous mettons en œuvre plusieurs techniques spectroscopiques : spectroscopie d’absorption X, spectroscopie Raman et spectroscopie UV-visible. En collaboration avec différents laboratoires du campus universitaire ou nationaux voire internationaux, nous effectuons également de la microscopie électronique (MEB, MET) pour caractériser les états de surface de nos échantillons et étudier les défauts étendus de nos matériaux.

IV. Modélisation à l’échelle atomique des matériaux

En support du volet expérimental et grâce aux clusters de serveurs présents sur le campus universitaire (CRAL, IP2I, ENS Lyon), nous avons acquis des compétences pour des modélisations à l’échelle atomique que ce soit par des calculs ab initio (en utilisant la DFT) ou bien par l’utilisation de potentiels semi-empiriques permettant d’effectuer des calculs en température via la dynamique moléculaire. Les informations issues de ces calculs portent sur les énergies d’incorporation ou de défauts dans les structures étudiées permettant ainsi de prédire les meilleurs sites d’incorporation. Nous pouvant également accéder à des propriétés mécaniques (bulk modulus, constantes élastiques, paramètres de maille) en température et prédire pour certains éléments leurs coefficients de diffusion.

Image - Spectromètre UV-vis Cary 100 (Varian)

Spectromètre UV-vis Cary 100 (Varian)

Image - Spectromètre micro-Raman confocal

Spectromètre micro-Raman confocal Renishaw inVia Qontor ( = 405, 532, 633 nm)

Image - Porte-échantillon

Porte-échantillon

Image - Cellule d’irradiation en température

Cellule d’irradiation en température

Image - Montage de recuit sous atmosphère oxydante humide

Montage de recuit sous atmosphère oxydante humide (500-1000°C)

Image - Four Nabertherm

Four Nabertherm | 1000-1600°C, atmosphère contrôlée


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